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lundi, 20 juin 2011

Marie- Claire Bancquart sur Capharnaüm, douze stations avant Judas (éditions de l'Amourier) d'Yves Ughes

Couv Capharnaüm145 - copie.jpgLe personnage de Judas  a fait l’objet de diverses interprétations  inorthodoxes , à commencer par l’Evangile de Judas et par certaines sectes gnostiques dont s’est inspiré Nikos Kazantzakis : prédit en effet par les Ecritures comme le dénonciateur de Jésus, qui allait racheter sur la croix les péchés de l’humanité, n’était-il pas celui par qui s’accomplit une action nécessaire au salut, un proche, le plus proche de Jésus de tous les apôtres ? Ces interprétations qui ont traversé les siècles, malgré celle de l’Eglise, fondatrice de l’opinion commune, ne sont pas sans avoir permis celle qu’Yves Ughes met en scène dans Capharnaüm . Pourtant  la sienne est différente, comme d’ailleurs nous montre le sous-titre : « Douze stations avant Judas »   : récit d’une évolution, d’une formation .

« Capharnaüm », nom de la première station, est à la fois celui de la ville dans laquelle Jésus, selon les Evangiles, accomplit son premier miracle en guérissant le serviteur paralysé  du centurion, et le mot synonyme de désordre et d’enfermement  , venu du fait que la ville était une des grandes cités commerçantes d’Israël. C’est  cette signification qui apparaît dans la « première station », qui nous montre « Judas  le sicaire » dans un supermarché dont il est un habitué, puisqu’il en possède une carte de fidélité. Il est las de vivre avec les autres apôtres, dont il s’est séparé pour un temps ; las des mots qui  ne représentent pas une réalité tangible et bonne,  celles auxquelles il est attaché par sa nature :(il achètz avec joie de quoi faire un rouget au fenouil accompagné de vin rosé. )

Ce long poèmes en prose fait alterner les caractères en romain, concernant Judas lui-même, et le commentaire du poète en italiques, transférant Capharnaüm dans Nice, ville qu’il fréquente et connaît bien , avec ses fastes, ses misères, son tempo embouteillé comme ses routes, ses contrastes. Clochards, Marie-Madeleine en prostituée fatiguée, pauvre et soumise, connaissent dans notre siècle la même détresse de démunis que la Vierge…Comment ne pas s’interroger  sur l’esprit de la petite collectivité des apôtres, comment  Judas  n’appellerait-il pas « de tous ses vœux » la fin d’une  aventure  qu’il ne comprend pas, ? Déjà la cinquième station s’intitule : « Judas rumine : comment choisir le bonheur ? « Station 7, Jack Kerouac le croise «  et lui donne un exemplaire de Mexico City blues « . On le voit comme une « mouche » qui bute, à travers une vitre, sur son envie de ciel et d’air. Station 8, il  traîne,  épuisé , un corps agonisant.. »La mort viendra et elle aura tes yeux », par contraste ironique avec le titre de la station 9, « Joindre un rib, les voies du Seigneur sont impénétrables ». : évocation de toute une série de fatigues,  de disparitions dans la mort. Mais évocation heureuse, elle, de Marie de Béthanie , les jambes « sur la diagonale du jour », et qui en déchirent la lourdeur, la chevelure posée sur les senteurs de la terre. Du « mauvais côté de la table » au moment de la Cène, dans le silence de son portable, Judas se libère, devient lui-même, prend le parti des « espaces charnels » . Ainsi la douzième et dernière station est-elle celle de sa « résurrection », « sur une mer toujours plus vivace ». Au contraire du Judas traditionnel qui, après la trahison, se pendit  et perdit ses entrailles par son ventre crevé, « Le ventre cicatrisé/ guéri de sa haine/ il flotta comme une planche de salut entre ces villes qui ne sont qu’heureuses expansions d’îles/ pris par la harpe du vent il accepta le salut du lieu/ et tout advient. ».

Parcours de rues et de régions, de deuils et de beautés. Judas est celui qui ne peut considérer le malheur comme une destinée finale de l’homme : il  se résout à aimer ce qui est donné à travers la marche incessante qu’est la vie. « Il n’y a pas de honte à choisir le bonheur »,un aphorisme de Camus qu’aime à reprendre Yves Ughes. Il a écrit là un poème de longue et haute tenue, dans lequel un Judas très semblable à nous , toutes époques mêlées, se dégage de la résignation d’avoir tout perdu.

Alain Freixe - Revue Faire part, N°24/25 - Parcours singuliers

Jusqu’à ce numéro double 24/25, les numéros de la revue faire part étaient des monographies. On se souvient parmi les dernières publications des N°22/23 consacré à Henri Meschonnic ; le 20/21, à Jacques Dupin ; le 18/19, à Hubert Lucot et le 16/17 tout entier dédié à revisiter l’aventure de la revue Change des années 70/80. On se souvient surement aussi des couvertures toujours particulièrement soignées et confiées à un artiste contemporain : Joël Leick, Antoni Tapiès, christian Sorg ou encore Gérard Titus-Carmel pour les dernières livraisons. On cherchera chez quelques bouquinistes ou sur internet parmi les numéros épuisés ceux sur Christian Prigent (N°14/15) ou Bernard Noël (N°12/13) ou Philippe Jaccottet (N°8/9) ou encore Michel Butor (N°4).

Nos amis Alain Chanéac, Alain Coste, Christian Arthaud, Jean-Gabriel Cosculluela innovent avec ce N°24/25 puisqu’ils inscrivent quatre poètes à son fronton - Jean-Marc baillieu ; Patrick Beurard-Valdoye ; Nicolas Pesques ; Caroline Sagot Duvauroux – intitulé Parcours singuliers. Quatre poètes et pour chacun un entretien, des approches critiques et des textes. Toujours, la proportion est heureuse .

Multiple est la singularité du sujet comme divers les chemins ouverts par chacune de ces écritures. Leur hétérogénéité, les choix de langue de ces quatre poètes s’il détermine bien des croisements, il interdit en revanche tout commun, toute communauté autre que celle d’être quatre aventures littéraires, soit être sur les routes d’une création attentive aux formes de saisie du réel de notre temps toujours hors de lui.

Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas là de représentants de courants ou de tendances de la poésie française contemporaine  mais de quatre voix ou mieux de quatre espaces de voix. Quatre territoires de langue. Il faut aller y voir.  Là s’invente la littérature !

Ce numéro de faire part est un belvédère. Depuis ses pages, passionnante est la vue !

 

Revue faire part, 8 chemin des teinturiers7160 Le Cheylard. Prix du N°24/25 : 25 euros

Site de la revue : http://perso.orange.fr/revue.faire.part/

15:49 Publié dans Nos ami(e)s lisent | Commentaires (2)

Yves Ughes - Revue Europe, N° Mandelstam

La couverture de ce Numéro 962/963 de la revue Europe surprend : alors qu’un poète est annoncé – Mandelstam - elle présente une lettre cernée dans ses composantes géométriques, un dessin de Tchernikhov. On est ainsi dans l’essentiel, la poésie ne se situe pas dans un Empyrée lumineux et abstrait. Elle s’inscrit dans un ensemble qui procède par strates, par croisements, intersections.

A travers Mandelstam se posent deux questions : qu’est-ce qu’être poète ? Que signifie être poète dans le tumulte du XXème siècle, dans ses errances et fourvoiements ?  S’en ajouterait même une troisième : comment la poésie peut-elle survivre dans de tels tumultes ?

On tord le cou ici aux idées reçues. La souffrance n’est pas de mise: « les souffrances n’ont pas enrichi le poète, elles n’ont fait que le détruire…. Sa voix a percé non grâce à l’étouffement, mais contre lui. Il avait assez de force en lui pour faire une œuvre et une vie hors de la prison, de la déportation et des camps. » affirme  Nadeja Mandelstam.

Partant de là prend forme un itinéraire qui passe par des lieux, des auteurs, des préoccupations scientifiques.

Se met également en place un paysage mental qui s’extrait de l’oppression. Le voyage en Arménie se présente comme l’échappée d’un poète aux confins d’un Etat oppressant, en quête d’une nouvelle respiration.

La poésie prend forme, physique, essentielle à la vie organique, faite de sang et de sueur. Ces temps-là  écrasent, qui ont d’abord libéré : avec Staline l’espoir bascule dans le désarroi, la révolution se fait asthmatique. L’étau n’en est que plus cruel. Les mots s’imposent pour dégager des espaces d’expansion, la poésie définit alors sa fonction essentielle : elle est de l’air dérobé.

Non pour soi, mais pour tous car l’artiste est par nature médecin, un guérisseur. Mais s’il ne soigne personne, à quoi sert-il ?

Ainsi vont les passeurs et les revues qui anticipent une neuve, une vraie Europe.

EUROPE, Revue littéraire mensuelle, Juin-Juillet 2009, Ossip Mandelstam, 18€uros50