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lundi, 28 décembre 2009

Les voeux du président, Yves Ughes

L’an neuf ? l’an œuf ? L’an noeuf ?

Au moment de souhaiter mes vœux de bonne année me revient implacablement à l’esprit cette réplique de Ionesco : A propos, et la cantatrice chauve ? Elle se coiffe toujours de la même façon !
Réplique qui nous plaque face à une réalité : ce que parler veut dire.
A propos, que signifie présenter des vœux ?
Une bonne année alors que l’on affame la bande de Gaza, et que le peuple Palestien voit son avenir étranglé ? une bonne année, faite de murs toujours plus hauts, enracinés dans nos terres et nos têtes. Une bonne année à ceux qui fuient la guerre et la famine et que l’on renvoie manu militari mourir ailleurs…une bonne année, la liste serait longue des désastres nourris par la rapine qui domine le monde…une bonne année…et surtout la santé !
Alors que faire, se replier dans le refus bougon et fuir toutes les présentations de vœux, qui sont parfois, derrière le vide des mots, des instants d’humanité, de désirs et d’espoirs.
Finalement nous interroger sur le sens des vœux revient à s’interroger une nouvelle fois avec Hölderlin : Que peut la poésie en ces temps de détresse ?
Au moins . Au mieux.
La poésie peut au moins nous mettre en garde contre tous les discours officiels. Pour exprimer ce qui ne se peut dire, la poésie interroge la langue, en travaille le rythme et les sons, produit des chocs insolites et salutaires.
Au mieux, elle peut par ces voies trouer la noirceur des temps et laisser passer ce qui nous meut vraiment, ce qui nous met en marche en tant qu’être humain, cette émotion appelée poésie, disait Pierre Reverdy.
Emouvoir. Mouvoir. Ou bien alors « muser » rester saisi face au mystère d’être, entrer en soi, comme l’écrit Alain Freixe : c’est dans l’émotion, cette soudaine saisie par le ton, que s’annule la dimension de pure extériorité où s’agitait le moi phénoménal. L’émotion est arrachement, détachement de cette réalité du monde qui n’est que la réalité de notre moi illusoire transporté dans les choses.
Tel est l’engagement de la poésie. Ou du moins, telle est notre conception de l’engagement poétique. Celle que Podio pratique depuis 25 ans déjà. Et les soirées organisées ça et là sont les garants de notre action : lectures poétiques qui donnent à entendre, conférences qui ouvrent et offrent la poésie contemporaine, autant d’instants d’émotions, d’humanité. Autant de partages et de réconciliations.
Quand on participe un tant soit peu à la vie du monde par des actions humaines, on peut se permettre de formuler des vœux. L’engagement les rend légitimes, comme la poésie peut donner un sens plus pur aux mots de la tribu.

Qu’il nous soit alors permis de vous souhaiter, sans avoir le sentiment de peigner la girafe, ni de brosser le crâne d’œuf de la cantatrice chauve, une bonne et heureuse année, dans la vie et en poésie. Par la poésie.



20:00 Publié dans Vie de l'association | Commentaires (1)

samedi, 05 décembre 2009

Maison de la Poésie de Grasse: vendredi 11 décembre 20O9 à 19h30, Approches de Pierre Michon

AF et JMB-Conf Michon le 11:12:09.jpgAvec Approches de Pierre Michon, Jean-Marie Barnaud et Alain Freixe entendent renouer avec une de leurs anciennes pratiques ; la conférence à deux voix.
Ils tenteront de faire partager leur intérêt pour cette voix singulière, vraie, simple et forte, celle d’un écrivain nourri des grands textes pour qui la littérature est une affaire de vie ou de mort. Pour qui elle reste la grande énigme : « Qu’est-ce qui relance sans cesse la littérature ? Qu’est-ce qui fait écrire les hommes ? »
Qu’est-ce qui fait écrire Pierre Michon ? « Le Roi » ? Mais il « vient quand il veut » selon le titre de son dernier livre avant Les onze paru chez Verdier au printemps 2009.
On vous attend nombreux à 19h30 vendredi 11 décembre 2009 à la Maison de la Poésie de Grasse, 7-9 rue de la LMauve - Place Rouachier . Tel: 06 11 57 66 27
© photographie Annick Lesimple

23:35 Publié dans Nos activités | Commentaires (1)

Nicolas Fargue, Le roman de l'été (P.O.L)

Il y a le ciel, le soleil et la mer…et les tubes de l’été. Il y a les pages, les destins croisés, les portes à briser…et le roman de l’été.

Nicolas Fargue est un virtuose…il compose son roman en abyme, nous plongeant rapidement dans l’angoisse du créateur qui, au gré des pages, se demande comment il va remplir ses pages : le syndrome Première gorgée de bière, quoi. On ne rentre pas en littérature avec des choses pareilles. Ça été décliné mille fois, ce genre de trucs, depuis Pérec. Tout le monde fait ça. Non, il n’y a rien à faire, je peux pas me lancer là-dedans. Ça fait trop recette. C’est vulgaire. »
Une fois la balise posée, le texte peut avancer, il sait dans quoi il ne doit pas verser. Le tour de force de N. Fargue va être d’absorber tous les clichés possibles –jusqu’au titre- pour les détourner, et faire ainsi œuvre véritable de création. Ainsi va la réinvention permanente et jubilatoire du roman.

Inutile de résumer l’intrigue qui tourne autour de ce romancier placé dans le roman et agissant comme une force aimantée. Des êtres gravitant plus ou moins loin de lui vont se retrouver près de cette plage et de ces dunes qui accueillent ses errances.
L’essentiel se situe dans cette question : compte tenu de ses affres, comment le roman tient-il ? L’auteur répond page après page avec une exceptionnelle inventivité, pour le plus grand bonheur du lecteur.

Les personnages prennent corps et vont dans leur vie par le langage. Essentiellement. La langue est leur essence, leur forme première. Ces êtres de papier se présentent avant tout comme des êtres de style : Tu le tires, ton coup, de temps en temps ? se mit-il à grogner. Ça t’arrive, de te faire ramoner ? Le Destop, c’est tous les combien du mois, ma chérie ? Tu t’en prends souvent, des longueurs dans la figue ? Des segments dans ta coquille ? Une bonne grosse queue à te carrer dans le mou, ça te branche encore à ton âge canonique ? ça vous campe un personnage.
Et là, vous l’entendez, l’accent des banlieues, la cadence caillera : Hé, j’vais pas te manger, fit Kader en cessant brusquement de sourire. J’veux juste savoir c’est quoi ta plage.
Les mots prennent ainsi chair, les mots font chair, les mots se font êtres vivants. Et l’on avance ainsi dans une intrigue dense, conçue comme une tresse se composant sous nos yeux.

Tel mouvement appelait une fin explosive : elle fait ici appel à la réalité de notre pays : Sarkozy himself entre dans le roman, pour une dizaine de pages caustiques et intensément jouissives.

Face à une telle fiction, le lecteur se tient toujours en éveil, où est la vérité ? Et si tout ce qui s’écrit relevait d’une recette estivale faite pour charmer ? Autant s’en remettre à l’interrogation : C’est ça, le secret de l’équilibre du monde. C’est ça, la formule originelle de la création : la parfaite imperfection des choses. L’équilibre parfaitement déséquilibré.

Mais, avec les mots, allez donc savoir !

Brice Matthieussent, Vengeance du traducteur (P.O.L)

Le poids du passé est tel qu’on ne peut écrire un roman qu’avec de l’audace, qu’en osant explorer les pistes les plus inattendues et les plus délirantes.
De cette « rentrée littéraire » tapageuse et douteuse se dégage au moins une bonne nouvelle : il est encore des auteurs qui se lancent dans l’aventure de l’invention, associant exigence et plaisir jubilatoire. Brice Matthieussent est de ceux-là.
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*je loge ici sous cette fine barre noire. Voici mon lieu, mon séjour, ma tanière. (…) Bienvenue à toi, cher lecteur, franchis donc le seuil de mon antre. Ce n’est pas aussi spacieux que chez mon voisin d’au-dessus, mais en son absence j’accueille ici ses visiteurs déroutés par cette désertion inexpliquée.

Ainsi se met en place un système confondant : ces premières lignes, associées au titre, lancent un pari : le traducteur qui n’existe habituellement que par ses « notes de bas de page » prend ici corps, il existe, il se trouve à l’étroit dans cet espace confiné, tracé par une ligne noire qui pèse comme un plafond bas.
On l’aura compris, ce traducteur-là est en quête d’existence, il veut et va « vivre ». Il commence ainsi par alléger l’œuvre originelle, biffer paragraphes et adjectifs, puis il n’aura de cesse de faire remonter la barre noire dans l’espace-page, jusqu’à prendre le pouvoir.
L’idée est pour le moins déroutante et pertinente, car elle nous situe dans le mystère de la création romanesque, dans le trouble de l’écriture qui fait émerger les personnages – ces êtres de papier- comme des êtres vivants. Et l’extraordinaire est que B. Matthieussent ait pu tenir plus de trois cents pages sans un instant d’essoufflement, nous racontant les mille et une aventures par lesquelles le traducteur tente d’accomplir sa vengeance. Car l’auteur qu’il va désormais croiser et recroiser s’avère particulièrement manipulateur et tortueux. Et puis, quand on se met à exister dans un livre qui a déjà été écrit, n’est-on pas en mesure de prévoir la suite des événements ?
Le texte avance ainsi sur une corde tendue, lancée par-dessus le vide. Et l’histoire funambule se nourrit de symboles, d’images et de références qui lui donnent la force d’accomplir avec plaisir cet exercice difficile. On croise au gré des pages des héros populaires qui tous sont chargés de sens, de Zorro à l’Homme Invisible, du vengeur à celui qu’on ne voit pas exister. Ces êtres de carnaval issus du pop-art suivent dédales et couloirs secrets, comme nous invitant à nous enfoncer dans les profondeurs de la fiction.
Aucune vision du monde ne se dégage avec clarté de cet univers déjanté, si ce n’est une perception fragmentée du réel. Qu’est ce que ce poème appelé « blason » si ce n’est une façon de dépecer la silhouette féminine, de la mettre en pièces détachées, comme cette maquette d’avion que le narrateur devait construire quand il était enfant. A leur image va la vie, comme un ensemble dont on ne recueille que des morceaux épars, qu’il faut bien tenter d’assembler. Et ne rien ne se peut accomplir sans une interrogation forte sur la langue. C’est bien là que nous amène cette étrange métaphore qu’est le traducteur : la vision du texte qu’a le traducteur dans son effort –les yeux au ras des paragraphes, des phrases, des mots, des lettres, une approche parfois plus chirurgicale qu’amoureuse-, car il affronte un corps à opérer, non à caresser, davantage une viande à équarrir qu’une chair à plaisirs.
Avec ce roman, la chair est rétablie, pour un plaisir intense.

Yves Ughes