dimanche, 12 mai 2013
Yves Ughes - valeur de la parole : vanité du mensonge, grandeur du délire.
Editorial d'Ajoutages,émission littéraire animée par Yves Ughes et Mireille Dalmasso sur Radio Agora FM 94 ou 94,1
« la terre est bleue comme une orange » écrivait Paul Eluard. Et tout le monde de s’étonner, de rire éventuellement, avec plus ou moins d’ostentation. Ces vers n’ont pas arrangé la réputation des poètes…pensez donc, mon bon Monsieur… « la terre est bleue comme une orange »…Faut être un peu malade affirment avec un beau mouvement de menton tous les tenants de l’ordre, tous les tenants de tous les ordres : grammaticaux, sociaux, moraux. La logique, bon sang, la logique, sans quoi où allons-nous.
De fait où allons-nous et que valent les mots aujourd’hui, les mots de ce jour. La vie politique majoritaire, je veux dire dominante quelle que soit le label qu’elle se donne, passe son temps à détourner les mots, à les gauchir, à les faire mentir avec des beaux exercices de contorsionnistes, il est vrai ce qui demande à certains d’entre un vrai effort, vu leur morphologie. Je me souviens d’une affiche de la campagne de 1981 : « quand un enfant sur deux ne part pas en vacances, moi, François Mitterand, je dis que c’est injuste ». Belle envolée, le moi a disparu, les enfants demeurent sur le bas-côté des vacances. Plus tard, de Mauroy alors premier ministre : « tous les feux passent au vert, nous sortons de la crise ». Bien vu, non ? Et puis nos raffarinades nationales : « la route est droite, mais la pente est rude », était-ce un conseil un message aux chômeurs ou un conseil aux randonneurs ? Et puis Mastrich, dès la signature du traité : « millions d’emplois allaient automatiquement être crées en Europe ». Paroles de celui que l’intelligentsia appelait « l’enchanteur », toujours le même président, le même Mitterand. Et voici l’enfumeur, celui qui a pour « ennemi la finance ». Le capitaine de pédalo, le pépère hôte actuel de l’Elysée… « Si vous tombez sur des terroristes, que ferez-vous » « Nous les détruirons ». je ne sais si les hommes descendent du dieu Mars, mais il certain que les présidents y remontent.
Et le moulin à paroles fonctionne, sans raté, sans déranger, sans doute. « Ils » l’ont dit à la télé. C’est donc vrai. Et l’on enfile les clichés comme des perles : les marchés sont fatalement inquiets, les valeurs sont toujours fondamentales, comme elles sont évidentes, cette politique est la seule possible, la fin de l’Histoire en quelque sorte. Et les Barjots sont automatiquement frigides, d’où la nécessité de chanter : « fais-moi l’amour avec deux doigts, avec trois ça ne rentre pas, avec un ça ne le fait pas ». Belles paroles pour une croisade mêlant grenouilles de bénitier et cocktails branchés. Comédie humaine disait Balzac, comédie des mots, détournement du langage par tout ceux que le pouvoir obsède : celui de dominer les autres ; celui de paraître.
Que peut la poésie en ces temps de détresse s’interroge l’association Podio en se plaçant résolument sous le signe d’Hölderlin. La question est juste et s’impose. La poésie ne peut tout, elle peut souvent peu, mais elle va sa route, conserve une flamme et la passe.
La poésie, comme la littérature en général, n’enferme pas les mots dans des certitudes établies. « la terre est bleue comme une orange ». La poésie déroute, nous fait sortir hors de la route tracée. Elle travaille la langue en jouant sur les sons, les rythmes, les images et ouvrent ainsi le texte comme une fenêtre posée sur le grand air. A nous, lecteurs de respirer, d’aspirer la déroute du sens, à nous de saisir l’oxygène qui enivre, délivre. Tout texte littéraire est polysémique : il fait du lecteur un co-créateur, il demande efforts et participation. Le contraire des discours tout faits qui séduisent et enferment. A vos livres donc, et à nous tous pour une heure de délires littéraires. Avec Ajoutages, refusez l’enfermement.
Yves Ughes
11:54 Publié dans Nos ami(e)s écrivent | Commentaires (0)