vendredi, 28 janvier 2011
Serge Pey - L'Internationale du rythme - éditions Dumerchez - Lecture d'Yves Ughes
Il est des notes impossibles à écrire et que l’on doit faire pourtant, impérativement, car les textes éblouissent.
Mais comment dire l’éblouissement ?
Le livre consacré à Serge Pey et l’internationale du rythme, publié sous la direction d'Andréas Pfersmann, donne le tournis ; scandé, lancinant, fulgurant, jouant sur des accélérations et des instants de calme approfondissement il se bâtit à l’image de celui qui donne la parole aux bâtons, qui hâte la venue de la pluie et fait surgir le soleil. Une pluie de comètes dans la nuit des temps. Que le titre souligne.
L’Atelier des Brisants nous donne ici une leçon de vie, l’ouvrage fait cinq cents pages, et c’est de vitalité poétique qu’il s’agit.
Quelque soixante-quatre contributions s’appellent et se répondent pour laisser une trace lumineuse dans le ciel. A chacun de la lire, comme fulgurance. Car Serge Pey appelle d’emblée une réaction-manifeste : pas de statue pour le poète.
Tout chroniqueur ne peut qu’être confondu par la beauté des titres suscités par l’homme che impugnava un bastone…et qui se livre avec force –lo sforzo fisico- dans la mise en corps de la poésie. Tous les articles convergent pour dire ce claquement d’homme qui déchire le silence compassé du monde établi. Comment dès lors en privilégier certains et en taire d’autres ?
La note est décidément impossible.
Sauf, à prendre les grandes étapes du recueil et à procéder en descente, en spirale vers les horizons ouverts.
Esquisses et portraits de Serge Pey. Halte 1. Fraternité. Halte II. Théorie du poème. Halte III. Le guerrier du sens : éthique et politique du poème. Halte IV. La parole des bâtons. Halte V. Poésie d’action ou « mise en rite du rythme ». Halte VI.
Chacune de ces scansions est ponctuée par des textes de Serge Pey. Deux incursions permettent d’entrer dans le livre et de suivre les rayons d’un soleil qui bascule du XX au XXIème siècle dans une pulsation déclenchée, dans une transe radieuse.
Il faut lire « la porte et la table » comme un mode d’entrée dans ce monde. Parfois en ce temps-là, les animaux remplaçaient les hommes pour crier. Prend corps ici un monde de Gardes civils, de mue de serpent, de grève, mais aussi de raisin et de couteau. Plus d’invités que prévu ? Qu’importe, la porte verticale –faite à grand peine et avec grand soin- va devenir table horizontale, lieu d’accueil. De l’événement intensément vécu, du partage fraternel et militant mis en place autour des plats, naît un mode de poésie :
Ce trou dans la maison, durant toute une journée, est resté en moi comme la preuve d’un avenir qui accouche.
Pour manger ce que nous avions à dire ou pour écouter l’inconnu, il faut savoir ouvrir le monde.
Ce n’est pas les mots ni les choses qui firent de moi un homme, mais les trous.
On n’écrit pas de la poésie, on vit en poésie.
Et il faut entendre la gueulante poussée par Serge contre la dispersion quand « les avida-dollars et les roteurs d’euros se sont donnés rendez-vous à Drouot pour la vente de l’invendable ». Il s’agit bien sûr des objets agencés par André Breton en poème. Vendre ces objets qui sont les mots d’un Grand-Œuvre participe du génocide de la poésie.
Poème de bâton brandi, animé par la rage de traverser ce monde prédateur, qui accumule ses richesses pour se gaver de certitudes, ce monde toujours prompt à dynamiter toute parole qui le dérange.
Sur la tombe de l’amour fou, il ne nous reste que nos poèmes pour faire basculer le monde du côté de la plus haute clairvoyance.
Ce qu’il faut d’humanité pour entrer dans la scansion du monde, ce qu’il faut de puissance pour entrer dans le rythme de la fraternité…tout dans cette approche du poète donne à l’entendre. Et le CD accompagnant le livre donne de la vie, de la voie à la richesse des mots qui constituent cet ensemble fertile.
Puisse une note impossible appeler à ce partage.
18:32 Publié dans Nos ami(e)s lisent | Commentaires (0)